Je commençais à peine à détendre l’atmosphère lorsque, comme toujours, Karen frappa à la porte. Elle était là, toute souriante, mais cette fois, je n’avais ni l’envie ni le temps de répondre à sa demande.
« Lena ! Merci encore de t’occuper d’Emily aujourd’hui, tu es vraiment un ange, » dit-elle avant même que je puisse dire quoi que ce soit.
Je pris une grande inspiration, essayant de rester calme. « Écoute, Karen, aujourd’hui, ce n’est vraiment pas possible. On est en retard et j’ai déjà pas mal de choses à gérer. »
Elle cligna des yeux, visiblement surprise, mais ne se laissa pas décourager. « Oh, mais tu t’en es toujours si bien sortie ! Je te serais vraiment reconnaissante. »
C’est alors que je réalisai que ce “service” qu’elle me demandait était devenu pour elle une sorte de droit acquis. Malgré tout, par habitude, je cédai, en me promettant de mettre les choses au clair plus tard.
La goutte d’eau qui fit déborder le vase arriva quelques jours plus tard. Sophie était malade et ne pouvait pas aller à l’école. Espérant que cette fois, Karen se proposerait de s’occuper de sa fille ou au moins offrirait son aide, je décidai de lui en parler. Mais à ma grande surprise, elle refusa.
« Oh, Lena, je n’ai vraiment pas de place dans ma voiture. J’ai promis à une collègue de l’emmener ce matin, » répondit-elle avec un sourire un peu forcé.
Ce fut la goutte de trop. Le lendemain, je pris ma décision.
Lorsque Karen revint me demander de transporter Emily, je lui répondis calmement : « Désolée, Karen, mais je ne peux plus. Je me suis rendue compte que ce service était devenu une habitude plutôt qu’une aide ponctuelle. » Je lui adressai un sourire, laissant mon message s’imprimer.
Elle se figea, son sourire s’effaçant. « Oh… je comprends, » balbutia-t-elle, visiblement déstabilisée.
Depuis ce jour-là, Karen n’a plus frappé à ma porte. J’ai appris qu’il est parfois nécessaire de poser des limites pour faire comprendre aux autres que notre gentillesse ne doit pas être prise pour acquise.
En montant dans la voiture, je jetai un dernier regard à la maison de Karen. Elle devait sûrement nous observer depuis sa fenêtre, attendant de voir Emily monter pour sa « routine habituelle ». Je démarrai, me dirigeant vers Rosie’s Donuts, avec un petit sourire satisfait de ce que je venais de faire.
Une fois arrivées au magasin, Sophie et moi avons pris notre temps pour choisir nos donuts. Elle opta pour un donut au chocolat avec des paillettes colorées, et moi, un simple avec un glaçage au sucre. Chaque minute passée là-bas était une petite victoire silencieuse contre l’attitude arrogante de Karen.
Une fois installée dans la voiture, je pris soin de conduire lentement, prenant mon temps et savourant chaque instant de ce trajet plus long que d’habitude. Je savais que l’heure tournait et qu’Emily risquait d’arriver en retard à l’école, mais j’avais décidé de montrer à Karen ce que ça faisait de dépendre des autres et de ne pas toujours être en contrôle.
En arrivant devant l’école, nous étions, comme prévu, en retard. Je vis Karen se précipiter vers nous, les bras croisés et un air furieux, tandis que Sophie descendait joyeusement de la voiture, la bouche encore pleine de miettes de donuts.
Karen ouvrit la porte arrière pour faire descendre Emily et me lança un regard glacial. « Tu aurais pu prévenir que tu ferais un détour, Lena ! Emily est en retard maintenant ! »
Je haussai les épaules, feignant l’innocence. « Oh, désolée, Karen. Sophie et moi avons eu envie de faire une halte chez Rosie’s Donuts ce matin. Parfois, ça fait du bien de prendre un peu de temps pour soi, tu ne trouves pas ? »
Karen me fixa, stupéfaite, sans savoir quoi répondre. Elle comprenait bien que c’était ma façon de lui rendre la monnaie de sa pièce, et pour la première fois, elle était désemparée.
Alors que je remontais dans ma voiture, je lui adressai un dernier sourire : « Bon courage pour la suite ! » Puis, avec Sophie assise à mes côtés, nous avons pris la route, laissant Karen ruminer sa leçon bien méritée.
Depuis ce jour-là, Karen ne me demanda plus jamais de conduire Emily à l’école.
Quelques jours plus tard, Karen nous attendait à nouveau dehors avec Emily, un sourire forcé sur le visage.
« Salut, Lena ! » s’exclama-t-elle d’un ton exagérément joyeux, observant attentivement ma réaction. « Merci encore pour ton aide. Vraiment, tu es un ange. »
« Oh, pas de souci, Karen, » répondis-je, imitant son enthousiasme faux. « C’est toujours un plaisir. »
Sophie et Emily montèrent à l’arrière de la voiture, déjà plongées dans une discussion animée sur leurs vidéos préférées sur YouTube. Tandis que je quittais l’allée, je fis un petit signe de la main à Karen, qui nous regardait s’éloigner, probablement contente d’avoir, une fois de plus, transféré sa responsabilité du matin à quelqu’un d’autre.
Mais aujourd’hui, j’avais décidé de faire les choses différemment.
Au lieu de suivre le chemin habituel vers l’école, je pris un virage à gauche au prochain croisement et me dirigeai vers Rosie’s Donuts. Emily, intriguée, me jeta un regard interrogatif.
« Madame Richards, ce n’est pas le bon chemin, non ? » demanda-t-elle, un peu inquiète.
« On va faire une petite pause pour des donuts, Emily, » répondis-je en lui adressant un clin d’œil complice.
Elle sembla surprise. « Mais… on va pas être en retard ? »
Je lui fis un sourire rassurant en regardant dans le rétroviseur. « Ne t’inquiète pas, chérie. On arrivera à l’heure qu’il faut. »
C’était en partie vrai, mais ce matin, j’avais décidé de donner une petite leçon, et j’étais bien décidée à la transmettre.
Une fois arrivées chez Rosie’s, nous avons pris notre temps pour choisir nos donuts. Sophie, tout sourire, croqua dans son donut au chocolat en s’exclamant : « Maman, c’est le meilleur jour de ma vie ! »
Je souris, profitant de son bonheur. « Tant mieux, ma chérie. Profite bien. »
Nous nous assîmes pour un moment, bavardant et riant, tandis que Sophie brillait de joie. Le temps passait, mais je n’étais pas pressée. Je savais que Karen, restée chez elle, commencerait à s’inquiéter du retard d’Emily.
Quand nous sommes enfin arrivées à l’école, la cour était presque vide, et les portes commençaient à se fermer pour la matinée. Une légère culpabilité me traversa, mais je me rappelai rapidement le manque de considération de Karen pour mes propres efforts de soutien.
« Allez, les filles, bonne journée ! » dis-je en leur faisant signe de se dépêcher.
Sophie m’a donné un dernier câlin plein d’enthousiasme, tandis qu’Emily me regardait, encore un peu perdue. Après leur avoir fait signe de se dépêcher, elles coururent vers l’entrée de l’école, et je pris une grande inspiration, consciente que les conséquences de cette petite leçon ne tarderaient pas à se faire sentir.
Comme je m’y attendais, à mon retour, Karen m’attendait sur son porche, les bras croisés, avec un air visiblement contrarié. Son sourire était forcé, et ses yeux trahissaient une colère rentrée.
« Lena, qu’est-ce qui s’est passé ce matin ? Emily est arrivée en retard à l’école ! J’avais compté sur toi pour les déposer à l’heure, comme d’habitude, » lança-t-elle dès que je sortis de la voiture.
Je m’approchai d’elle, feignant l’innocence. « Oh, Karen, je suis désolée ! Parfois, les matinées ne se passent pas comme prévu, tu sais, ça arrive. »
Sa mâchoire se serra, manifestement agacée. « Eh bien, j’espère que cela ne se reproduira pas. Emily doit être à l’école à l’heure. »
Je lui répondis d’un ton calme : « Peut-être que la solution serait que tu l’emmènes toi-même, non ? »
Elle resta silencieuse un instant, me lançant un regard glacial, avant de se retourner brusquement et de rentrer chez elle en claquant la porte. Je la regardai disparaître à l’intérieur, un sentiment de satisfaction m’envahissant. Cela faisait bien trop longtemps que je laissais passer ses petits abus, et cette fois, j’avais décidé de me faire entendre.
Depuis cet incident, Karen n’a plus jamais demandé que je dépose Emily. Elle s’est arrangée pour la préparer à l’heure et a pris en charge le trajet. Elle évitait mes regards, probablement un peu gênée, mais cela m’importait peu. Elle avait compris la leçon.
Et moi aussi. Être serviable ne signifie pas se laisser exploiter. Parfois, il est crucial de poser des limites, même si cela exige un peu de fermeté.