Tout le monde se figea dans la salle de réunion lorsque Ethan Kade, PDG milliardaire de KadeTech, se cala au fond de son fauteuil en cuir, un sourire en coin accroché aux lèvres.
— Je vais épouser la première femme qui passera cette porte, déclara-t-il tranquillement.
La phrase resta suspendue dans l’air comme une provocation, ou peut-être comme un aveu camouflé derrière son arrogance.
Autour de la table, les regards se croisèrent. Personne n’osa rire. On ne savait jamais si Ethan plaisantait. On le connaissait pour ses acquisitions agressives, ses stratégies glaciales et son titre de plus jeune milliardaire de la tech à New York. Le romantisme, ce n’était pas son domaine. Lui, c’était les chiffres, les deals, les tableaux de bord. Pas les sentiments.
Et pourtant, il venait de dire ça. Sérieusement. Ou du moins, il en avait l’air.
Ethan avait horreur des mariages. Il revenait tout juste d’une cérémonie luxueuse en Toscane — celle de son petit frère — où l’amour se déclinait en discours mièvres et en photos parfaitement mises en scène. On trinquait au « pour toujours » comme on ouvre une bouteille hors de prix.
Ce qu’il détestait le plus, c’étaient les regards appuyés et les petites phrases assassines :
« Et toi, alors, c’est pour quand ? »
Comme si le mariage était une étape obligatoire, un tampon validant l’existence.
Il avait passé la réception à lever les yeux au ciel, et il était rentré à New York avec une allergie encore plus forte à tout ce qui ressemblait de près ou de loin à l’engagement.
Alors, lorsque son assistant exécutif, Travis, s’était permis un trait d’humour en insinuant qu’Ethan « avait peur de se lier vraiment à quelqu’un », le PDG avait explosé.
— Très bien, avait-il répliqué. Je vais vous prouver que tout ça, c’est du cinéma.
— Et comment tu comptes faire ? avait demandé Travis, amusé.
Ethan avait désigné la porte vitrée de la salle de conférence.
— J’épouserai la première femme qui entrera par cette porte.
Un murmure avait parcouru la pièce.
— Vous plaisantez, n’est-ce pas ? avait risqué Lauren, la directrice marketing.
— Pas du tout, avait répondu Ethan, imperturbable. Elle entre, on discute, je la demande en mariage. L’amour, c’est juste un contrat comme un autre. On signe, on sourit, on joue le jeu. Le reste, c’est de la mise en scène.
Personne n’osa le contredire. On était mal à l’aise, mais personne ne voulait être celui qui dirait au patron qu’il avait perdu la tête.
C’est à ce moment-là que des pas se firent entendre dans le couloir.
Tous les regards se tournèrent vers la porte.
Elle s’ouvrit.
Et le monde d’Ethan bascula d’un millimètre.
La femme qui apparut n’avait clairement rien à voir avec leur univers de costumes sur mesure et de présentations PowerPoint.
Pas de tailleur chic, pas de sac de luxe. Un simple jean, un t-shirt gris avec le logo effacé d’une librairie, et une pile d’enveloppes dans les bras.
Ses cheveux étaient attachés à la va-vite, et elle s’immobilisa, pétrifiée, en voyant tous ces yeux braqués sur elle.
— Euh… désolée, dit-elle. Je crois que ce courrier a été livré au mauvais étage. Je viens du…
— Vous êtes qui ? la coupa Ethan en se levant.
Elle hésita avant de répondre :
— Olivia. Olivia Lane. Je travaille au café, au cinquième.
Quelques ricanements nerveux fusèrent autour de la table, mais Ethan, lui, ne sourit pas.
Son cœur, lui d’ordinaire si régulier, eut un léger raté.
Il y avait chez elle quelque chose qui n’avait rien à faire dans son univers cadré au millimètre. Une simplicité brute, presque déplacée dans ce décor de verre et d’acier.
Il aurait dû balayer la situation d’un trait, dire que tout cela n’était qu’une blague lancée sur un coup de fatigue.
Mais la phrase qu’il avait prononcée quelques minutes plus tôt — « Je vais épouser la première femme qui franchira cette porte » — résonnait encore dans sa tête comme un défi lancé à plus fort que lui.
Olivia, toujours plantée sur le seuil, fronça les sourcils.
— Je dérange une réunion importante, là, non ?
— Oui, répondit Ethan, retrouvant son calme. Et à partir de maintenant… vous en faites partie.
Plus tard, dans son bureau, Ethan repassa la scène en boucle. Il n’arrivait pas à la chasser de son esprit. Sa manière de parler sans formalités, sa façon de ne pas se soucier une seconde de son statut à lui.
— Je rêve ou tu es vraiment en train de prendre tout ça au sérieux ? demanda Travis, adossé à la porte.
— J’ai dit que je le ferais, répondit simplement Ethan.
— Ethan, enfin… c’est une barista.
— C’est une femme. Et c’est la première qui a franchi cette porte. Tu te souviens de ce que j’ai dit, non ?
— Tu as hésité, répliqua Travis. Tu t’es figé.
— Parce que je ne m’attendais pas à tomber sur elle. C’est tout.
— Tu comptes vraiment lui proposer le mariage ?
Ethan contempla la ville par la baie vitrée, le visage fermé.
— Oui. Je vais le faire.
Et, à partir de là, l’homme qui considérait l’amour comme une mauvaise blague commença à organiser une demande en mariage à une inconnue venue rapporter du courrier par erreur.
Ce qu’il ignorait, c’est qu’Olivia Lane n’était pas si inconnue que ça. Et encore moins ordinaire.
Deux jours plus tard, Ethan se présenta pour la première fois au café du cinquième étage. Les employés le suivirent du regard, certains chuchotant déjà, téléphone à la main.
Derrière le comptoir, Olivia nettoyait la machine à espresso en fredonnant, totalement absorbée.
Il se racla la gorge. Elle releva la tête.
— Ah, vous, fit-elle. Encore vous.
— Toujours moi, répondit-il avec un demi-sourire.
— Vous venez vérifier si le courrier est bien livré au bon étage, cette fois ? ironisa-t-elle.
— Non, dit-il en sortant un petit écrin de sa poche. Je viens te demander si tu veux m’épouser.
Elle éclata de rire, croyant d’abord à une plaisanterie.
— Vous êtes sérieux, là ?
— Je ne l’ai jamais été autant.
Elle secoua la tête, mi-amusée, mi-agacée.
— Écoutez, Monsieur le PDG, je ne sais pas quel genre de délire vous traverse. Peut-être que vous vous ennuyez, peut-être que vous cherchez un coup de buzz. Mais moi, je ne suis pas un pari vivant.
— Ce n’est pas un pari, répliqua Ethan doucement. C’est un choix. Un saut dans le vide. Et j’aimerais que tu le fasses avec moi.
Elle le fixa longuement.
— Tu ne sais rien de moi, murmura-t-elle.
— Alors laisse-moi apprendre.
Trois semaines plus tard, ils étaient mariés.
Pas dans une cathédrale, pas dans un château italien : sur le toit de KadeTech, devant un petit comité et une poignée d’objectifs braqués dans leur direction.
Les journaux se régalèrent :
« Le roi de la tech épouse une simple barista »
« Coup de folie ou coup de com ? »
Les plateau TV s’enflammèrent, les commentaires fusèrent, les actionnaires se montrèrent nerveux.
Et Ethan ? Il lui tenait la main, souriait aux caméras… et donnait l’impression d’avoir tout planifié. Comme si c’était parfaitement logique.
Mais en coulisses, la vérité était beaucoup plus compliquée.
Parce qu’Olivia Lane était un personnage. Un faux nom. Une couverture.
Elle s’appelait en réalité Anna Whitmore. Ancienne journaliste d’investigation, connue autrefois pour un article explosif qui avait failli faire tomber un géant de la biotechnologie… une société liée, de très loin, à KadeTech.
Son enquête lui avait valu des menaces, un appartement réduit en cendres, et un avis très clair : « Disparais, ou tu finiras en une de journal pour de mauvaises raisons. »
Alors elle avait disparu.
Un café, un tablier, un prénom emprunté, et une vie discrète entre cappuccinos et gobelets à emporter. Jusqu’à ce jour où, en apportant un courrier égaré, elle avait ouvert une porte qu’elle n’aurait jamais dû franchir.
Et s’était retrouvée mariée à Ethan Kade.
Au départ, elle s’était dit qu’elle tiendrait bon quelques mois, le temps que la tempête médiatique passe. Qu’un divorce discret, plus tard, mettrait un point final à cette folie. Peut-être même avec un accord financier à la clé.
Mais plus elle apprenait à connaître Ethan, moins les choses restaient simples.
Il était exigeant, oui. Contrôlant, parfois. Mais aussi terriblement humain. Il l’écoutait. Il lui parlait de ses insomnies, de sa mère disparue, des livres qu’il n’avouait pas lire. Parfois, la nuit, il la regardait comme si elle était un mystère qu’il voudrait décoder sans le briser.
Et ça, c’était dangereux.
Parce qu’Anna — Olivia — se surprenait à l’aimer.
Mais son passé, lui, n’avait aucune intention de la laisser tranquille.
Un soir, Ethan trouva une grande enveloppe kraft posée au milieu du plan de travail en marbre de la cuisine. Pas de nom, pas d’adresse expéditeur.
À l’intérieur : une photo d’Anna devant un tribunal, une copie de son ancien article, signé de son vrai nom, et un simple message griffonné au stylo :
« Demande-lui ce que représente Halvex Biotech pour elle. Et regarde bien qui tu as épousé. »
Il lut une fois. Puis une deuxième. Puis une troisième.
Quelque chose se durcit dans son regard.
Elle était entrée dans sa vie avec un mensonge. Son nom, son histoire, même ce « courrier livré au mauvais étage »… Était-ce vraiment un hasard ?
Lorsque la porte de l’appartement s’ouvrit, plus tard dans la soirée, Anna sut tout de suite que quelque chose n’allait pas.
Ethan l’attendait, debout dans le salon, une photo à la main.
— Qui es-tu vraiment ? demanda-t-il calmement.
Elle pâlit.
Il posa l’enveloppe sur la table, les documents étalés devant elle.
— Je veux la vérité, cette fois. Toute la vérité.
Sa gorge se serra.
— Mon vrai nom est Anna Whitmore, dit-elle enfin. Et non, je ne t’ai pas tout dit.
— Tu m’as menti sur ton identité. Sur ton passé. Sur tout ce qui t’a amenée ici.
— Je ne savais pas qui tu étais quand j’ai franchi cette porte, répondit-elle, la voix tremblante. Je me cachais. C’est tout. Je voulais juste rester en vie.
— Tu veux que je gobe ça ? Qu’on me serve une histoire de hasard parfait ? Tu crois que je suis naïf ?
Elle releva les yeux vers lui.
— Non, souffla-t-elle. Je sais que tu es loin d’être naïf. Mais je te jure que je n’ai pas été envoyée pour te détruire. J’essayais juste de disparaître. Et puis… je t’ai rencontré. Et j’ai compris que je n’avais plus envie d’être un fantôme.
Un long silence tomba entre eux.
Ethan la dévisagea. La femme qu’il avait épousée sur un coup de tête venait de faire éclater leur fragile équilibre. Elle portait en elle des secrets bien plus explosifs que les siens.
Et malgré tout, l’idée de la perdre lui tordait le ventre.
— Je ne sais pas si je pourrai te faire confiance à nouveau, dit-il enfin.
— Je ne te le demande pas, répondit-elle doucement. Mais je te demande une chose : ne te cache plus, toi non plus. Ni derrière ta fortune, ni derrière tes défis idiots. Si on doit continuer… alors il faudra qu’on arrête de se mentir. Tous les deux.
Six mois plus tard, ils n’étaient pas divorcés.
Leur histoire n’était pas devenue un conte de fées. Ils se disputaient. Ils doutaient. Ils n’étaient pas toujours d’accord.
Mais Ethan avait passé un coup de fil qui avait provoqué un tremblement dans le monde des affaires : KadeTech se retirait de tout partenariat avec Halvex Biotech.
Peu après, un nouvel article fit la une, signé d’un nom que l’on croyait disparu :
Anna Whitmore.
Elle y dévoilait enfin tout ce qu’elle savait, sans se cacher, sans pseudonyme, sans tablier de barista pour la protéger.
Ethan, lui, apprit à regarder sa vie autrement. Il cessa de réduire l’amour à un contrat ou à une stratégie de communication.
Parce que cette « première femme qui avait franchi la porte » n’avait pas seulement bouleversé son existence.
Elle l’avait obligé à se montrer vulnérable.
Et, d’une certaine façon, elle lui avait sauvé la vie.