Une jeune mariée avait pour habitude de changer les draps de son lit chaque jour, sans jamais expliquer pourquoi. Son geste semblait être une simple manie, jusqu’au matin où sa belle-mère entra dans la chambre et resta figée sur place.

Mon fils, Paulo, venait d’épouser Mira depuis à peine une semaine.
Leur union, célébrée à Batangas, n’avait rien d’extravagant : de la simplicité, des éclats de rire, quelques larmes, et des promesses dites les yeux brillants.

Mira paraissait la belle-fille rêvée : discrète, aimable, toujours polie, respectueuse avec tout le monde.
Les voisins s’extasiaient, la famille aussi.

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— « Quelle chance tu as d’avoir une belle-fille pareille ! », fanfaronnais-je volontiers au marché.

Pourtant, quelques jours après les noces, un détail me troubla.

Chaque matin, sans en rater un seul, Mira retirait draps et couvertures pour les laver et les étendre au soleil. Parfois, elle en changeait même deux fois dans la journée.

— « Pourquoi laver la literie aussi souvent, hija ? », lui demandai-je un jour.

Elle sourit doucement :
— « Je suis très sensible à la poussière, Nanay. Je dors mieux quand tout est frais. »

L’explication tenait debout… mais quelque chose clochait. Le linge était neuf, choisi avec soin pour le mariage, et personne chez nous n’avait d’allergies.

Peu à peu, l’idée qu’elle cachait autre chose s’imposa.

Un matin, je fis mine d’aller au marché. Quand Mira descendit préparer le petit-déjeuner, je montai à pas feutrés jusqu’à leur chambre.
À peine la porte entrouverte, une odeur métallique me coupa le souffle. Mon cœur se mit à cogner.

Je m’approchai du lit et soulevai le drap.

Mes jambes tremblèrent.

Le matelas blanc était constellé de larges taches de sang, anciennes et récentes, superposées.
Ce n’était pas du sang de règles : la couleur, l’aspect… tout me glaça.

Affolée, j’ouvris les tiroirs. J’y trouvai des bandages, un flacon de désinfectant, et un débardeur soigneusement plié, durci par le sang séché.

Je redescendis en trombe, pris le poignet de Mira et la fis remonter.

— « Explique-moi. Qu’est-ce que c’est que tout ce sang ? Pourquoi le cacher ? »

Elle resta d’abord figée, les épaules secouées, les yeux noyés. Puis elle s’écroula contre moi.

— « Nanay… Paulo a une leucémie avancée. Les médecins parlent de quelques mois. Nous avons devancé le mariage… Je ne pouvais pas l’abandonner. Je voulais être là, jusqu’au bout. »

Le sol s’ouvrit sous mes pieds.
Mon propre fils m’avait tenu à l’écart pour me préserver. Il portait sa douleur en silence pour m’éviter la mienne.

Cette nuit-là, je ne dormis pas. Allongée, je fixais le plafond, imaginant ce qu’il endurait et la patience tendre de Mira.

Dès le lendemain, j’achetai des draps neufs. J’aidai Mira à laver les anciens. Chaque matin, je me levais plus tôt pour être là, pour elle, pour lui, pour eux.

Un jour, tandis que nous changions le lit ensemble, je la pris dans mes bras.

— « Merci, Mira… d’aimer mon fils. D’être restée. De l’avoir choisi, en sachant que tu le perdrais peut-être. »

Trois mois plus tard, au petit matin, Paulo s’en alla paisiblement, la main serrée dans celle de Mira, qui lui soufflait « Je t’aime » jusqu’à son dernier souffle.
Pas de lutte, pas de cris. Juste une sérénité étrange, et un léger sourire au coin des lèvres.

Depuis, Mira ne m’a plus quittée.
Elle n’est pas retournée chez ses parents, ne s’est pas remariée. Elle est restée à mes côtés, tenant avec moi notre modeste échoppe de nourriture, me traitant comme sa propre mère.

Deux années ont passé.

Quand on me demande :
— « Pourquoi Mira vit-elle encore chez toi ? »

Je souris et je réponds simplement :
— « Parce qu’elle n’a pas seulement été la femme de mon fils. Elle est devenue ma fille. Et ici, ce sera toujours chez elle. »

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